Attention aux tulipes : le CHU de Besançon les proscrit pour protéger les patients immunodéprimés d’un champignon

Le CHU de Besançon (Doubs) ne plante plus aucune tulipe issue de l’agriculture intensive depuis qu’une étude a montré qu’elles étaient souvent porteuses d’un champignon microscopique résistant aux traitements médicaux. Un danger pour les personnes très immunodéprimées. 

Dans les parterres aux alentours du CHU de Besançon, ou dans les jardinières de ses couloirs, vous ne trouverez plus que des tulipes bios. En effet, depuis 2019 et une étude menée par les services de mycologie de l’hôpital, les tulipes issues de l’agriculture intensive sont proscrites de l’enceinte de l’établissement, et de ses abords. En cause : l’Aspergillus fumigatus, un champignon microscopique, dont des souches résistantes aux traitements antifongiques de la médecine humaine sont très souvent retrouvées sur ces plantes à bulbes et représentent un danger, en particulier pour les personnes très immunodéprimées, comme certains patients de l’hôpital. “On est face à un problème mondial”, explique Steffi Rocchi, docteure et ingénieure hospitalière en charge de cette étude, “au même titre que la résistance antibiotique, on observe un phénomène de résistance aux antifongiques”. 

Une étude menée dans les espaces verts du CHU

“Il a été décrit que les bulbes de tulipe peuvent être vecteurs de souches résistantes aux traitements”, expose cette docteure, chargée de surveiller la présence des champignons dans l’hôpital. Alors, “quand ils ont aménagé la nouvelle terrasse, j’ai tout de suite contacté les jardiniers pour leur demander ce qu’ils plantaient”, raconte-t-elle. Des tulipes, qui proviennent des Pays-Bas, un pays particulièrement touché par le phénomène.

L’hôpital lance alors une étude et prélève 90 échantillons dans la terre et les airs des abords des plantations de tulipes. Dans 71% des prélèvements de terre, des souches résistantes de l’Aspergillus fumigatus ont été retrouvées. En 2020, “on s’est mis d’accord pour mettre des bulbes biologiques”, raconte-t-elle, “et les contrôles montrent qu’on diminue drastiquement les souches résistantes”. Sur les nouveaux prélèvements, réalisés aux mêmes endroits, seules deux souches résistantes ont été détectées, “probablement résiduelles”, car la terre n’avait pas été changée. 

Un phénomène lié à l’agriculture intensive

L’Aspergillus fumigatus est une moisissure présente dans de nombreux environnements. “Dans les logements, dans les sols agricoles, etc…”, énumère Steffi Rocchi. Dans l’immense majorité des cas, elle est inoffensive. “Le problème, c’est qu’on utilise les mêmes fongicides en agriculture et en médecine humaine”, explique Steffi Rocchi. Des fongicides “azolés”, “les aspergillus y sont exposés dans l’environnement, et ils développent des mécanismes de résistances”. Résultat, quand un patient est infecté, “on arrive avec les mêmes molécules pour le traiter, et il y a des résistances”. Or, le temps est un élément essentiel dans le traitement de ces infections chez les personnes fragiles. “C’est un champignon dont les spores sont très petites, et elles arrivent à atteindre les alvéoles pulmonaires”, en particulier chez les personnes immunodéprimées : “les champignons envahissent les tissus pulmonaires”. Et certains en décèdent. 

Si on ne prenait pas assez vite en charge les patients immunodéprimés porteurs d’une souche résistante, il y aurait 90% de mortalité

Steffi Rocchi, ingénieure hospitalière au CHU de Besançon

Également membre du laboratoire Chrono-environnement, Steffi Rocchi a participé à l’étude du premier cas français de souche résistante, en 2012. “C’était un agriculteur, et à l’époque j’avais fait des prélèvements dans ses champs d’orge, et on avait trouvé des souches résistantes”, se souvient-elle. Un autre exemple sur lequel son équipe s’est penchée : un ouvrier dans une scierie, un autre milieu où les mêmes fongicides sont souvent utilisés, ici pour traiter le bois. Il avait été blessé par une planche en bois, sur laquelle un champignon résistant s'était developpé.

Peu d’alternatives en médecine humaine, mais des solutions en agriculture

Pourtant, des alternatives existent dans le domaine de l’agriculture. Mais ces fongicides “sont tellement efficaces, que ce sont eux qui sont privilégiés”. En médecine, en revanche, les choix sont “très limités”. “Les fongicides azolés, ce sont les plus efficaces, et les moins toxiques”, explique-t-elle. Alors, elle travaille sur deux fronts : d’un côté, au laboratoire bisontin Chrono-environnement, contre l’utilisation de ces traitements azolés. “On fait pas mal de recherches dans l’environnement, pour essayer de comprendre où ces résistances surviennent le plus”, en espérant pouvoir influencer la législation et les pratiques, preuves à l’appui. Deuxième front, à l'hôpital : “notre service travaille sur les recherches de souches et de résistances”, pour développer des techniques afin de se rendre compte le plus tôt possible que la souche ne réagira pas au traitement traditionnel, et qu’il faut se rabattre sur d’autres molécules. “On a des possibilités avec des molécules alternatives, qui sont moins efficaces”, confie-t-elle. Des traitements dont l’action est moins rapide, mais auxquels la moisissure n’a pas encore développé de résistance. “Ça fait des années qu’on sollicite des organismes financeurs”, s'agace-t-elle, “mais on nous dit que ça n’est pas un problème de santé publique”

Pour le moment, aucun cas de patient contaminé à l’hôpital par cette moisissure sous ses formes résistantes n’a été rapporté. Et l’équipe veille à la conserver hors du CHU, et surtout de ses services d’hématologie, où les patients sous traitements immunosuppresseurs forts sont vulnérables. Quant au grand public, le Dr Rocchi préfère rassurer, les risques sont très faibles, mais elle conseille tout de même d’adopter la même démarche que le CHU, et de préférer les tulipes bios à leurs cousines traitées aux fongicides azolés.

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