Maria-Carmen Gras soutiendra sa thèse de doctorat en Histoire, intitulée "Une ville face aux malheurs du temps. Les évènements climatiques extrêmes à Rouen. XVIe-XVIIIe siècle", le mercredi 12 juillet 2023, à 14h, au Salon Préclin, UFR SLHS, 32 rue Mégevand, à Besançon.
Composition du jury
Directeur de thèse :
M. Garnier Emmanuel, directeur de recherche au CNRS, université de Franche-Comté
Membres du jury :
Mme Barral-Baron-Dausy Marie, université de Franche-Comté
Mme Guo Lina, université de Sun Yat-Sen (Chine)
M. Milliot Vincent, université de Paris 8
M. Rideau Gaël, université d’Orléans
Résumé
Longtemps deuxième ville du royaume, capitale provinciale et port fluvial majeur, Rouen fut la proie de multiples malheurs météorologiques au cours des siècles. L’objectif de cette enquête historique est de répondre à un triple questionnement.
Quelles étaient la nature, l’intensité et la fréquence des extrêmes climatiques qui touchaient la ville et son aire d’approvisionnement ?
Quelles vulnérabilités spécifiques révélaient ces aléas sur le fonctionnement de la société urbaine ?
Existaient-ils des formes de résilience pour atténuer les effets dévastateurs de ces fléaux du ciel ?
Retrouver les traces des extrêmes passés nécessite un spectre large de sources archivistiques. Les sources officielles (Municipalité, Parlement de Normandie et Cour du Roi), les sources religieuses, les écrits du for privé ainsi que les publications périodiques et scientifiques foisonnent de mentions climatiques. La collecte de toutes ces informations permet d’établir la fréquence, l’occurence et la sévérité des extrêmes climatiques passés. Sur le podium météorologique calamiteux normand figuraient les pluies incessantes, les phénomènes hydrologiques (inondation, embâcle et débâcle) ainsi que les phénomènes venteux (tempêtes et orages). L’approche de l’entité urbaine par le prisme climatique révèle ses vulnérabilités matérielles, économiques, frumentaires, sociales et démographiques. Les extrêmes violents et spectaculaires qu’étaient les tempêtes ou les inondations avaient un lourd bilan matériel dont les stigmates étaient visibles dans le paysage urbain (édifices religieux endommagés, repère de crue). Cependant, la plus grande fragilité de la société rouennaise était celle qui touchait son pain quotidien. Chacun savait qu’une récolte manquée ou des approvisionnements suspendus enclenchaient un cercle infernal inexorable. La pénurie alimentaire signalait le début d’une cherté, d’une contraction des activités économiques, d’une misère grandissante et, parfois, d’un accroissement significatif de la mortalité. La disette se traduisait sur le front socio-politique par l’émergence de tensions. Elles éclataient parfois sous forme d’émeutes frumentaires et laissaient transparaître la politisation croissante de la question des subsistances. Le retour régulier des extrêmes météorologiques fit naître une forme de culture du risque à tous les niveaux de la société. Si la population était fatalement soumise à la tyrannie du ciel, elle n’en était pas moins active. C’est ce que prouve le panel de mesures de prévention et d’action visant à réduire l’impact des crises météorologiques. Parallèlement aux suppliques religieuses, des mesures concrètes, chapeautées par les instances politiques et religieuses, étaient prises : protection des infrastructures, mise à l’abri des personnes et des biens, secours aux sinistrés, moyens de circulation provisoires, élargissement de l’aire d’approvisionnement frumentaire, législation d’exception... Au siècle des Lumières, de nouvelles méthodes et pistes dans les domaines métérologiques, sanitaires, agricoles, commerciaux et urbanistiques furent développées pour diminuer les vulnérabilités multiformes de la société et de l’espace urbain. Cette sécularisation du risque s’accompagna d’un transfert de responsabilité vers le politique palpable à travers la multiplication des rumeurs incriminant les autorités politiques pour leur inaction, leur incompétence et même leur culpabilité. Trois siècles de profondeur historique permettent d’identifier les permanences, les mutations et les enjeux dans l’appréhension, la prévention et la gestion des extrêmes climatiques. La connaissance des vulnérabilités et des mesures de résilience passées peut, aujourd’hui, servir d’enseignement dans le contexte du réchauffement climatique et d’une urbanisation croissante.