Dans un article publié dans la revue Nature Communications, l’équipe de Patrick Couvreur à l’Institut Galien (Université Paris-Sud / Université Paris-Saclay) en collaboration avec d’autres équipes de recherche dont le laboratoire Chrono-environnement (Prof. C. Ramseyer) a découvert qu’il était possible d’exploiter les lipoprotéines (LDL, HDL) de la circulation générale pour la vectorisation indirecte de médicaments, à condition que ceux-ci soient équipés d’un groupement chimique ayant une forte affinité pour les LDL. Ces travaux ont été réalisés dans le cadre de l’ERC Advanced Grant “TERNANOMED” et du programme européen H2020-MSCA-RISE “assymcurv”.
La preuve de concept de cette approche a été démontrée par le couplage chimique de différentes molécules pharmacologiquement actives au squalène, un lipide naturel et biocompatible, qui entraîne l’auto-assemblage des bioconjugués ainsi obtenus sous forme de nanoparticules. En effet, le caractère lipidique du squalène et sa proximité structurale avec le cholestérol (dont il est le précurseur chez les mammifères) a convaincu les chercheurs d’étudier l’interaction entre ces nanoparticules avec les lipoprotéines plasmatiques. En utilisant comme modèle, des nanoparticules de squalène couplé à la gemcitabine (un anticancéreux majeur), il a été montré in vitro sur sang complet humain et in vivo chez l’animal que les bioconjugués de gemcitabine-squalène étaient rapidement captées par les lipoprotéines circulantes (LDL chez l’homme et HDL chez le rongeur) après désaggrégation des nanoparticules dans la circulation générale. L’interaction entre les nanoparticules squalénées et les LDL peut être imaginée comme un processus dynamique qui implique l’adsorption des petites particules de LDL (22 nm) à la surface des nanoparticules (120 nm) dès qu’elles entrent en contact les unes avec les autres, comme cela a été montré en microscopie électronique à transmission. Cette interaction a également été confirmée à l’échelle moléculaire par des méthodes calorimétriques d’interaction (ITC) ainsi que par simulations numériques. Ces dernières ont été menées au laboratoire Chrono-Environnement par C. Ramseyer et son collègue S. Yesylevskyy de l’ “Institute of Physics of the national academy of Ukraine “ et également professeur invité de l’UFC au laboratoire pendant deux mois en 2016. Ces calculs ont été réalisés à l’aide du calculateur occigen sur le centre de calcul national basé au CINES (Montpellier) et grâce à l’appui du mésocentre de calcul de Franche-Comté. Ces résultats expliquent la pharmacocinétique prolongée de la gemcitabine-squalène après administration intraveineuse, contrairement à la gemcitabine libre, qui n’interagissant pas avec les lipoprotéines plasmatiques, a une clearance plasmatique très rapide. Comme la capture des LDL est fortement augmentée dans les cellules néoplasiques en division, l’approche suivie peut avoir des implications importantes pour le traitement du cancer. D’ailleurs, des travaux avaient déjà envisagé le prélèvement des LDL pour y incorporer des molécules anticancéreuses. Mais ces approches ont du être abandonnées en raison de la complexité des méthodologies pour l’isolation des LDL à partir des donneurs, des problèmes liées à leur conservation (ie., aggrégation, dégradation etc.) et de la difficulté d’y incorporer des médicaments. En provoquant l’insertion de médicaments in situ, directement dans les LDL circulants, la stratégie de “squalénisation” a pu résoudre ce problème et proposer le nouveau concept de “vectorisation indirecte” de médicaments.
Référence : Sobot D, Mura S, Yesylevsky S, Dalbin L, Cayre F, Bort G, Mougin J, Desmaele D, Lepetre-Mouelhi S, Pieters G, Andreiuk B, Klymchenko A, Paul J-L, Ramseyer C, Couvreur P, “Conjugation of squalene to gemcitabine as unique approach exploiting endogenous lipoproteins for drug delivery”, Nature Communications, doi : 10.1038/ncomms15678 (2017)