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5G à Paris et au Havre : deux approches distinctes pour arbitrer entre potentiel économique et incertitudes sanitaires

24 Nov 2024 | The Conversation

Désormais, les administrations locales disposent d’un droit de regard sur les processus d’autorisation des installations de téléphonie mobile (Photo d’illustration). Olga e Alexia/Shutterstock
Auteur(s) Chrono :
  • Jérémy Froidevaux, Maître de Conférences – Université de Franche-Comté, DYNABIO, POLLUTION
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5G à Paris et au Havre : deux approches distinctes pour arbitrer entre potentiel économique et incertitudes sanitaires

Laura Recuero Virto, Pôle Léonard de Vinci et Froidevaux Jérémy, Université de Franche-Comté – UBFC

Certaines collectivités locales favorisent le déploiement de la 5G en misant sur les promesses faites autour de cette technologie en termes de solutions industrielles. À l’inverse, d’autres limitent son développement du fait des interrogations sur les enjeux sanitaires, voire environnementaux et sociétaux autour de la 5G. Illustrations avec le port du Havre et la ville de Paris.


Les mouvements de contestation sociale qui ont éclaté dans les années 2000, au début du déploiement de la technologie mobile, ont été relativement comparables en Belgique, en France, en Espagne, en Suisse et au Royaume-Uni. Ce malaise social trouvait son origine, au niveau local, en raison de l’émergence de ces réseaux dans l’environnement quotidien des individus, ce qui provoquait des désagréments et soulevait des préoccupations esthétiques, avec un impact possible sur la valeur des terrains ou des maisons.

Cette inquiétude n’a jamais été vraiment résolue à l’époque, étant donné que les autorités locales n’avaient généralement pas le droit de mettre en œuvre des mesures contre le déploiement et que les administrations centrales suivaient les directives internationales.

Mais une vingtaine d’années plus tard, le contexte est-il le même avec l’arrivée de la 5G ?

Droit de regard des administrations locales

D’abord, malgré des mouvements de contestation contre la 5G qui ont pu aller jusqu’à des dommages physiques sur les stations du réseau mobile, le processus d’autorisation pour l’installation de ces stations a évolué depuis les années 2000 avec une participation plus active de l’administration locale qui a un droit de regard.

En même temps, contrairement aux déploiements initiaux de réseaux mobiles dans les années 2000, la demande au niveau du trafic de données mobiles pourrait être limitée dans les pays et régions où les limites d’exposition sont plus restrictives. C’est notamment le cas de la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, l’Italie, et la Suisse.

Mais surtout, la 5G permet de déployer des solutions industrielles qui permettent d’envisager un développement économique local. Désormais, les administrations locales sont ainsi plus favorables à la 5G qu’elles ne l’étaient à la téléphonie mobile des années 2000, si on en croit les conclusions d’une analyse récente menée par des chercheurs du Pôle Universitaire Léonard de Vinci, et des universités de Poznan et Stirling.

État de lieux de la 5G « industrielle »

Dans son plan d’action 5G de 2016, la Commission européenne a présenté l’objectif d’assurer une couverture 5G ininterrompue dans les zones urbaines et le long des principaux axes de transport d’ici 2025. En mars 2021, elle a étendu cet objectif pour inclure une couverture 5G de toutes les zones peuplées d’ici 2030.

Source : Agence nationale des fréquences.

La Commission avait notamment fixé la fin 2020 comme date limite pour octroyer les bandes 3,4-3,8 GHz et 26 GHz (Directive (UE) 2018/1972, point 135). La 5G est en effet considérée comme un atout stratégique pour l’innovation dans un cadre concurrentiel dans la scène internationale, notamment avec des pays tels que les États-Unis, la Chine mais aussi l’Inde.

La 5G dite « industrielle » a la capacité de transformer de nombreux secteurs tels que la mobilité connectée, la santé, l’industrie 4.0, et la logistique. Pour faciliter ces développements, parallèlement aux déploiements en cours de la 5G sur les réseaux nationaux, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la distribution de la Presse (ARCEP) permet à l’ensemble des professionnels industriels de procéder à des expérimentations afin s’approprier les innovations et les usages liés à la 5G.

Alors que les solutions industrielles tardent à se concrétiser, le président de la mission 5G industrielle, Philippe Herbert, soulève l’intérêt d’avoir des entreprises « prêtes à se lancer dans un déploiement pour avoir un effet boule de neige sur toute une filière par la suite ».

Cette mission a notamment identifié les freins les plus importants pour le déploiement de la 5G industrielle, en particulier, l’insuffisante disponibilité d’équipements et de services adaptés, la difficulté à trouver les bonnes compétences mais aussi les interrogations sanitaires, environnementales et sociétales.

Manque de données sur les potentiels effets sur la santé

Les valeurs limites d’exposition fixées par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) pour se protéger des champs électromagnétiques ont été largement adoptées dans le droit national par de nombreux pays à travers le monde.

Ces valeurs ont été récemment actualisées pour tenir compte de la 5G. Néanmoins, certains pays ont choisi de mettre en œuvre des limites d’exposition plus strictes depuis les années 2000.

Jusqu’à présent, indépendamment du pays, de l’année et du type de technologie mobile, l’exposition aux ondes est bien en dessous des limites définies pour le public par l’ICNIRP. Ceci est aussi vrai avec la 5G. En effet, quelques études ont été menées sur les niveaux d’exposition attendus pour la technologie 5G sur la base des données issues de simulations, d’expérimentations et de déploiements commerciaux.

Néanmoins, d’un point de vue scientifique, d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), il existe de l’incertitude concernant les éventuels effets sur la santé liés notamment à l’intermittence du signal associé à certaines technologies sans fil utilisées par la 5G et à l’utilisation des bandes de fréquences à 26 GHz. Davantage d’études spécifiques à la technologie 5G doivent être menées, en particulier sur ces deux aspects, conclut en substance l’Anses.

À noter que, dans ce rapport, l’Agence évoque aussi brièvement les interrogations que soulève aussi le déploiement de la 5G sur le plan environnemental.

Le Havre et Paris : deux approches bien distinctes

Compte tenu de l’ensemble de ces élements – incertitudes sanitaires versus promesses économiques –, les collectivités locales se positionnent différemment quand elles doivent arbitrer au sujet du déploiement de la 5G sur leur territoire.

Prenons le cas du Havre (Seine-Maritime). Le port maritime Haropa a lancé en 2019 une expérimentation 5G sur les fréquences de 2,6 et 26 GHz en lien avec Le Havre Seine Métropole, Siemens, EDF et Nokia. Le but est d’améliorer la compétitivité du port grâce aux données.

Cela devrait permettre, par exemple, d’améliorer la sécurité sur le complexe et l’efficacité des opérations telles que le chargement et déchargement des conteneurs ou le dédouanement, expliquent les acteurs du projet.

Autre exemple : la ville de Paris qui, elle, privilégie une approche axée sur les aspects sanitaires. En 2020, la capitale a ainsi organisé une conférence citoyenne métropolitaine sur les enjeux de la 5G qui a donné lieu à une nouvelle charte en 2021 entre la ville et les opérateurs de téléphonie mobile.

Cette charte intègre de nouveaux engagements sociaux et environnementaux. Elle renforce aussi les actions d’information du public et de surveillance des niveaux d’exposition sur Paris avec la création d’un Observatoire parisien de la téléphonie mobile. Paris devient ainsi la ville européenne la plus protectrice avec un niveau maximal d’exposition de 5 V/m toutes technologies confondues en tout lieu de vie intérieur et fermé.

Et ailleurs en Europe ?

Le contexte en Europe est assez similaire. On observe les mêmes typologies concernant les atouts et les freins au déploiement de la 5G industrielle. On relève aussi une grande disparité d’approches en fonction des territoires : certains souhaitent bénéficier des atouts potentiels de la 5G, d’autres sont plus concernés par les questions sanitaires.

La Commission européenne a bien enclenché une dynamique pour impulser la technologie 5G comme un réseau critique pour permettre l’innovation et la transformation numérique. Mais elle n’a pas anticipé l’étendu des besoins pour le déploiement d’un tel écosystème

De plus, des technologies critiques de la 5G en Europe proviennent d’entreprises extérieures à la région. Enfin, le manque de capacité d’innovation et de main-d’œuvre qualifiée dans ce domaine semble être l’un des plus grands défis de la politique européenne.The Conversation

Laura Recuero Virto, , Pôle Léonard de Vinci et Froidevaux Jérémy, Dr en Biologie de la Conservation, Université de Franche-Comté – UBFC

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